Avec The Line, l'Arabie saoudite lance la construction de la controversée Neom

Après des années d’attente, il semblerait que l’Arabie saoudite soit bel et bien prête à créer en plein désert la mégalopole du futur : Neom. Toutefois, les annonces du prince héritier saoudien sont tellement belles qu’on a plutôt l’impression d’être face à un énième mirage urbanistique.

Le 10 janvier, le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salmane (alias “MBS”) a annoncé en grandes pompes le lancement de la première phase de la construction de Neom – la mégalopole du futur qu’il veut édifier dans le désert, dans la province de Tabuk (au bord du golfe d’Aqaba, au sud de la Jordanie et à seulement quelques encablures de Charm el-Cheik).

La première étape de ce projet pharaonique prendra la forme pour le moins radicale d’une ville de 170 kilomètres de long : The Line. Cette grande “ligne”, dont les travaux doivent commencer lors du premier trimestre de cette année, est censée accueillir 1 million d’habitants et sera pour ainsi dire la colonne vertébrale de Neom (à ce titre, d’autres projets urbains pourraient se greffer sur The Line). A terme, le territoire de Neom devrait s’étaler sur une zone presque aussi vaste que la Belgique.

Selon MBS, qui est aussi président du conseil d’administration de Neom, The Line devrait créer d’ici 2030 380 000 emplois et générer 180 milliards de rials saoudiens (soit 39,5 milliards d’euros) – alors que le coût total de Neom est estimé à 500 milliards de dollars. Pour l’instant, peu de détails sur la ville ont filtré, hormis quelques chiffres impressionnants, de belles promesses et une vidéo de présentation qui nous montre la ville émergeant du désert. En attendant d’en apprendre plus sur le sujet (comme par exemple quels seront les architectes et urbanistes qui participeront au projet), voici ce que l’on sait déjà.

Du vert dans le désert

“Les routes et rues sont remplacées par des places et des boulevards piétons remplis de parcs et d’espaces verts”, annoncent les promoteurs de cette ville qui sera conçue “pour les gens et non pour les voitures”. Ainsi, l’essentiel des services et équipements du quotidien devraient être accessibles en 5 minutes de marche à pied. 

Pour les déplacements d’un bout à l’autre de la ville, les habitants de The Line pourront compter sur un système de transports en commun souterrain à grande vitesse, grâce auquel les trajets ne dureront pas plus de 20 minutes (en complément, des navettes autonomes devraient également être proposées aux habitants). Une seule vilaine ombre plane sur la partie transports du projet : l’aéroport qui desservira Neom (et qui devrait donc accueillir des avions utilisant du bon vieux kérosène).

Sur le plan environnemental, la ville sera “zéro voiture, zéro route et zéro émission de carbone”, a annoncé le prince héritier. Les promoteurs s’engagent ainsi à préserver 95 % des espaces naturels, l’un des buts affichés de The Line étant de “restaurer la relation de l’humanité avec la nature”.

A cet effet, l’énergie utilisée par la ville sera 100 % renouvelable (grâce à des systèmes solaires, éoliens et hydrogènes), ce qui peut paraître surprenant de la part de l’un des plus grands producteurs de pétrole au monde. Enfin, les besoins alimentaires des habitants devraient être assurés par une production locale et écoresponsable de nourriture. 

Afin de s’extraire de sa dépendance économique à l’or noir, l’Arabie saoudite souhaite également que The Line devienne un centre d’innovation technologique à même de rivaliser avec la Silicon Valley. Pour cela, la ville sera dotée d’importantes structures numériques (dont des intelligences artificielles et des robots) afin d’attirer les talents de la nouvelle économie. En outre, grâce à toute une batterie de capteurs en tous genres, The Line collectera en permanence des données qui, après analyse, permettront d’améliorer les services apportés aux entreprises et habitants.

Cependant, il y a de fortes chances pour que ce soit surtout le futur régime fiscal et juridique de Neom (qui devrait être beaucoup plus souple que celui du reste de l’Arabie saoudite) qui finisse par convaincre les entreprises de s’y installer.

Un projet sulfureux

Le projet Neom (dont le nom est la contraction de “neo”, “nouveau” en grec, et de “mostaqbal”, “futur” en arabe) avait été annoncé en juin 2017, mais a depuis rencontré plusieurs contretemps, dont notamment la baisse des cours du pétrole, la pandémie de Covid-19, ainsi que le meurtre par les autorités saoudiennes du journaliste Jamal Khashoggi (une affaire qui a particulièrement terni l’image de Ryad auprès des investisseurs étrangers). Cet abominable assassinat aurait également causé le départ de plusieurs consultants clefs du projet, tels que l’architecte Norman Foster ou le PDG de Sidewalk Labs (la filiale urbanistique de Google) Daniel Doctoroff.

Neom s’inscrit dans le cadre de Vision 2030, le grand programme de modernisation de l’Arabie saoudite au coeur du projet politique de Mohammed Ben Salmane. The Line doit ainsi servir de vitrine pour un pays de plus en plus décrié pour ses atteintes aux droits humains et son rôle central dans la pollution mondiale.

Toutefois, malgré des trésors de communication et de greenwashing, il semblerait que l’Arabie saoudite ne soit pas près d’abandonner ses mauvaises pratiques. En effet, les déserts étant rarement tout à fait vides, la construction de The Line devrait également entraîner le déplacement de la tribu des Howeitat. En avril 2020, l’activiste Abdul Rahim al-Huwaiti a même été assassiné après avoir dénoncé les risques d’expulsion qui menacent sa tribu.

L’ambitieuse Neom n’est pas sans rappeler d’autres projets de villes futuristes qui promettent toutes sortes de merveilles technologiques tout en préservant l’environnement : Akon City au Sénégal, la Woven City de Toyota au Japon (au pied du Mont Fuji), la smart city sud-coréenne de Songdo, ou encore la nouvelle ville que Bill Gates veut bâtir dans le désert de l’Arizona.

Cependant, les rues désespérément vides de Masdar City (une autre ville nouvelle implantée dans le désert censée incarner le futur, dont la construction a été lancée par Abu Dhabi en 2008) nous rappellent que des milliards de dollars et de grandes annonces ne suffisent pas toujours à faire une ville. 

Arnaud Salvat