"Avant même le coronavirus, le survivalisme intéressait déjà de plus en plus de gens"

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Depuis les années 1960, les adeptes du survivalisme défendent l’idée que le monde moderne pourrait s’effondrer soudainement et qu’il faudrait donc se préparer à cette éventualité. La crise du Covid19 a montré les fragilités de notre système actuel et même pris de court certains collapsologues, au point qu’on pourrait se demander si les survivalistes n’avaient pas raison depuis le début.

Pour voir ce que le survivalisme pourrait nous apprendre, nous avons contacté Clément Champault, l’un des cofondateurs de JPC Events, qui organise depuis plusieurs années le Salon du survivalisme de Paris (dont l'édition 2020 devait se tenir du 20 au 22 mars).

Demain Matin | Comment êtes-vous venu à vous intéresser au mouvement du survivalisme ?

Clément Champault | Pour revenir à la genèse du projet, j'ai créé ce salon avec deux amis d'enfance. La première édition s'est déroulée en mars 2018, après plus d'un an et demi de recherches sur ce thème. Et en fait, on a découvert qu'il y avait eu une première tentative de salon du survivalisme vers 2010-2011. On pense que le thème n'était pas assez implanté en France dans les mentalités pour que ce soit un succès, et donc le projet avait été avorté.

Nous, on s'intéressait beaucoup au survivalisme, mais avec des approches assez différentes. J'avais un associé qui était plutôt tourné vraiment « survie/préparation aux catastrophes ». Moi, j'étais plus intéressé par l'autonomie énergétique et alimentaire, la gestion des ressources – tout ce qui est écologique, en fait.

Et c'est le match de ces deux visions qui a fait un très bon mix, car ce sont des domaines qui sont extrêmement complémentaires. Les catastrophes qui se produisent chaque année, que ce soit en France ou dans le monde, ont aussi joué dans l'élaboration de notre projet.

Le premier but était d'essayer de faire de ce salon une espèce de petit pôle de compétitivité, avec des passionnés, des gens qui s'intéressent à la prévention des risques, à l'écologie, mais aussi des entreprises et des partenaires publics.

On voulait rapprocher toutes ces personnes pour faire émerger ces thématiques et ces enjeux. La première édition en 2018 a été réussie et on a connu une petite croissance l'année suivante. La troisième édition était de très bon augure, mais malheureusement elle a été annulée par les pouvoirs publics. Mais ce n'est que partie remise : on est déjà en train de préparer l'édition de l'année prochaine.

Quels types d'exposants viennent à votre salon ?

Lorsqu'on a créé notre salon, nous avons fait un découpage en plusieurs secteurs. Le premier, c'est la survie outdoors : c'est tout ce qui va correspondre aux techniques de survie, le savoir-être en forêt. C'est le côté un peu plus « baroudeur ». Ensuite, nous avons tout un pôle sur l'autonomie des ressources, tout ce qui est autonomie énergétique, autosuffisance alimentaire, la gestion de l'eau. Et après on a un secteur qui concerne la santé et la sécurité.

Pour le matériel de survie et de randonnée, nous avons Au Vieux Campeur. Pour la partie énergétique, on va avoir des gens qui proposent des panneaux solaires, des inverters ou encore des générateurs de secours au gaz. Pour l'autonomie des ressources, on a des sociétés qui proposent des systèmes d'aquaponie, d'aéroponie et d'hydroponie...

Sans oublier toutes les formations pour apprendre à se servir de ces produits et systèmes. Cette année, on devait avoir à peu près 140 exposants (on avait eu 80 exposants la première année et 120-130 la deuxième année).

Est-ce que vous avez observé une recrudescence des « vocations survivalistes » ? Avez-vous été contacté par des gens qui ont commencé à s'y intéresser à cause des événements actuels ?

Même s'il n'y avait pas eu les circonstances actuelles, de manière générale, ce sujet intéresse de plus en plus de monde. Avant même le coronavirus, il y avait le dérèglement climatique, l'épuisement des ressources, les sécheresses, les catastrophes qu'on peut connaître en France... De quoi donner envie de s’y intéresser à de plus en plus de gens. Il y a aussi de plus en plus d'écologistes qui, petit à petit, comprennent, voire adoptent, les codes du survivalisme.

C'est vrai que les événement actuels font prendre conscience aux gens que ce mouvement a un intérêt et que les considérations des survivalistes ne sont pas des lubies de “fous dingues”, d'hurluberlus dans des bunkers. On a remarqué qu'il y avait eu une augmentation du nombre d'abonnés sur notre page Facebook et aussi sur des groupes partenaires.

Vous avez vu l'émergence de cette ouverture du survivalisme au milieu écologiste ou c'était déjà quelque chose en cours d'émergence au moment où vous avez créé le salon ?
C'était déjà en cours depuis quelques années. Au tout début, pour la première édition, on avait un peu pour but de « dédiaboliser » le sujet. Le survivalisme a toujours pâti d'une mauvaise image à cause du mouvement américain, qui n'a rien à voir avec le survivalisme européen – qui est beaucoup plus marqué par des considérations écologistes, alors qu'aux États-Unis c'est d'autres considérations, un peu plus anxiogènes - voire parfois très anxiogènes.

Pour vous montrer à quel point le survivalisme est important et pourquoi les gens s’y intéressent de plus en plus, il faut se demander : qui pouvait penser que la situation dégénèrerait autant ? Qui, début mars ou fin février, pouvait dire qu’en deux semaines la moitié de la population mondiale serait appelée à être confinée ?

Dès la première année, il y avait beaucoup d'écologistes qui parlaient vraiment d'écologie, d'énergie renouvelable, etc. Et aujourd'hui on en voit qui parlent d'effondrement, parfois même de fin de l'espèce humaine, ce qui montre que même chez ces gens-là il y a eu un basculement. Ils ont pris conscience qu'à un moment on ne peut plus se voiler la face, il faut aussi regarder le monde actuel et l'avenir en face et se rendre compte qu'il faut avoir des paroles en cohérence avec notre univers.

Pour vous montrer à quel point le survivalisme est important et pourquoi les gens s'y intéressent de plus en plus, il faut se demander : qui pouvait penser que la situation dégénèrerait autant ? Qui, début mars ou fin février, pouvait dire qu'en deux semaines la moitié de la population mondiale serait appelée à être confinée ?

Dans ce type de risques de pandémie, dus au coronavirus, c'est le caractère très soudain de la chose qui est inquiétant. Et même si on a des services publics assez puissants et des chaînes d'approvisionnement plutôt bien rodées, un événement comme celui-ci peut mettre une tension sur pas mal de services. Pour le moment, la rupture de la normalité n'est pas totale, les services fonctionnent même si les gens sont appelés à rester confinés. Mais on peut voir comment la situation a pu évoluer en deux semaines, c'est absolument délirant, c'est du jamais vu. Comme le disent les experts, on n'a jamais vu ce type de situations depuis la Seconde Guerre mondiale.

Et c'est un peu le thème qu'on souhaite traiter : une légère préparation est toujours bénéfique, de toutes façons. Ça vous mettra plus en sécurité et ça vous rendra plus autonome, et donc plus respectueux de l'environnement.

En France, nous sommes plus de 80 % d'urbains, ce qui complique l'adhésion au survivalisme, car on n'a pas accès à la forêt et à la campagne quand on vit en ville. Comment peut-on survivaliste en ville ?

Il y a beaucoup de solutions possibles, mais c'est vrai que si on veut avoir une logique survivaliste, ou tout du moins d'autosuffisance, ce sera beaucoup plus évident si vous avez ne serait-ce qu'un jardin ou un terrain. En ville, on a des solutions écologiques à privilégier : il y a plein de produits, de systèmes, qui existent ou qui sont en train d'être mis en place.

Concrètement, ça peut être un potager intérieur, un petit compost, une solution pour réduire votre consommation d'eau... C'est plein de petites choses, en fait. Ça peut aussi être une préparation de sécurité : qui a chez lui une petite trousse de secours en cas de problème ou d'accident domestique ? Le survivalisme, c'est pas uniquement répondre à une pandémie mondiale, c'est aussi parfois répondre aux risques du quotidien.

Quelles seraient selon vous les spécificités du survivalisme à la française ?

Le survivalisme, à la base, c'est un mode de vie qui prend ses formes dans une panoplie d'idées, de techniques, de savoir-faire et savoir-être qui permettent à tout individu d'accroître son autosuffisance, dans le but de prévenir un ensemble de risques extrêmement large : des accidents domestiques, des attentats, des catastrophes naturelles, des inondations, des chutes de neige, pannes d'électricité... Et maintenant, on a la preuve que même une pandémie peut nous arriver. Le champ des risques est très large, en fait.

Récemment, le collapsologue Yves Cochet disait que même ses amis partageant ses idées n'avaient pas vu venir cette crise. Pablo Servigne a également tenu des propos similaires...

Personne ne peut prédire un risque au caractère aussi soudain qu'une pandémie. Mais après je pense que ce que ces personnes mettent en avant, c'est surtout le problème global de la société dans laquelle on vit. Le modèle capitaliste – avec la surconsommation, l'épuisement des ressources, etc. – n'est pas viable et il est voué à s'effondrer.

Donc eux, bien sûr, ils ne pouvaient pas prévoir le coronavirus ou la pandémie mondiale, mais ils parlent de théorie de la décroissance, de rupture de la normalité due au système dans lequel on vit tous. C'est ça qu'ils mettent en avant : le fait que cette société n'est pas viable à long terme et qu'à un moment on va avoir une décroissance telle qu'on va devoir se réorganiser selon des modèles sociétaux un peu différents.

En parlant des nouveaux modèles qui vont se mettre en place, est-ce que vous pensez que dorénavant on va avoir un rapport différent aux risques ?
On sait que la culture du risque évolue beaucoup d’un pays à l’autre. La question a été abondamment étudiée. Les pays latins, notamment, présentent une forte aversion aux risques : ce n'est pas quelque chose qu'on aime en France. Mais les choses changent, et la notion de risque évolue rapidement.

Pandémie, changement climatique : notre culture du risque est en train d’évoluer extrêmement rapidement.

Dès la première édition de notre salon, on disait que le changement devait venir d'en bas, on n'attendait pas à ce que des politiques mettent en place des mesures préventives. On voulait réunir un public pour lui montrer qu'il y avait des solutions concrètes, réelles, proposées par les exposants, pour que le changement viennent d'en bas.

Les mentalités commencent à évoluer : les gens nous disent que l'année prochaine on va avoir énormément de monde au salon à cause de ce qu'il s'est passé.

Vous parlez d'initiatives individuelles, d'une approche par le bas de la réponse aux risques, mais est-ce que vous ne pensez pas que c'est un peu un constat d'échec du politique ? On reproche souvent au survivalisme d'individualiser à l'excès la réponse aux crises, une attitude qui se fonde sur une certaine défiance vis-à-vis de l’État.

Le fait que ça vienne d'en bas et que ce soit un échec d'en haut, ne signifie en aucun cas qu'il y a une individualisation de la réponse aux risques. Même s’il est vrai que l'on peut y voir un échec des pouvoirs publics. On ne va pas se mentir : sur toutes les questions écologiques, on ne fait pas le dixième de ce qui devrait être fait pour régler les problèmes, ou pour, en tout cas, essayer de les atténuer.

Lors de notre premier salon, j'ai eu plein de rendez-vous avec des représentants de la Mairie de Paris et des bureaux chargés des risques et de la résilience parisienne. On leur avait proposé des espaces à titre gracieux, on avait fait des modélisations 3D, etc. Mais ça n'a pas du tout donné de suites, on n'a eu aucun retour. Et c'est extrêmement dommage, car la Mairie de Paris édite régulièrement un dossier sur la résilience parisienne et un dossier sur les risques.

Pourtant, vous ne verrez jamais un politique se mouiller en parlant de survivalisme. Ce n'est pas quelque chose de concevable parce que même si on a bien commencé à démocratiser le concept dans nos salons, pour les politiques, ce serait encore un trop grand danger pour eux de se mêler à ce genre de questions.

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Donc malheureusement, on n'a pas trop d'aides, que ce soit de la Mairie ou du ministère de la Transition écologique, qu'on a beaucoup sollicités. Le survivalisme a encore une image trop négative pour eux.

Vous faites notamment référence à cette image assez droitière, assez réactionnaire, qui colle à la mouvance survivaliste ?

Pour moi, ça vient du mouvement survivaliste américain, qui fait appel à des choses plus sectaires, connectées à des idéaux plus religieux, xénophobes, individualistes... Nous, on s'en fiche de tout ça : pour nous, le plus important c'est de faire venir le plus de gens pour leur faire découvrir des systèmes, des savoir-faire, pour leur permettre d'agir de façon plus responsable sur le plan écologique et de mieux se préparer aux risques. C'est du pragmatisme : mieux vaut prévenir que guérir.

J'ai déjà entendu parler des connotations « extrême droite » et « xénophobie », mais franchement je ne sais pas si ces gens-là sont venus à notre salon. Ce n'est pas du tout notre tasse de thé, on ne parle pas de ça. C'est vrai qu'à une certaine époque j'avais lu une interview [dans L'Express de Serge Blisko, le président de la Miviludes, l'organisme qui était chargé de lutter contre les dérives sectaires], qui s'inquiétait de voir l'évolution de notre salon.

J'étais un peu choqué, j'avais failli demander un droit de réponse. J'étais choqué de voir que les gens s'inquiétaient de notre salon, de la « mouvance sectaire survivaliste », alors que c'est un mouvement qui essaye d'apporter des réponses aux crises que l'on connaît actuellement ou que l'on s'apprête à connaître (et qui vont être d'une ampleur bien plus considérable que celle que l'on connaît actuellement).

Donc ça me fait doucement rire que des politiques parlent de « dérives sectaires » en parlant du survivalisme. Je pense que pour le moment ce sont les survivalistes qui en font le plus pour agir de manière plus écologique et pour prévenir les risques. Ce qui est, jusqu'à preuve du contraire, pas complètement débile, vu le monde dans lequel on vit actuellement.

Je voudrais revenir sur la question de la résilience urbaine, qui est un concept dont on entend pas mal parler en ce moment. Quel conseil donneriez-vous à des élus ou à des candidats aux élections municipales pour organiser la résilience de leur ville ?

Je ne suis pas politique, mais on pourrait citer les logements à énergie positive ou la végétalisation à outrance ou la création de fermes urbaines partagées, car le survivalisme n'est pas qu'une question individuelle.

Vous prônez donc une sorte de retour à la production locale ?

Je vois mal une municipalité organiser des réserves pour ses habitants. Donc faire des réserves, ça rentre plus dans une logique individuelle, de protection du domicile, de protection familiale. Pour en revenir à votre question précédente, on pourrait aussi évoquer des cours de protection de l'environnement, une heure ou deux par semaine, notamment pour apprendre à faire le tri.

On s'apprête à connaître des catastrophes sans précédents à cause des agissements des humains sur la Terre, mais on n'a pas de cours à l'école sur la protection de la planète... C'est délirant. Après, on n'a pas la prétention de dire qu'on va changer les programmes scolaires et qu'on va faire de la politique, ce n'est pas notre sujet. On a surtout des exposants qui proposent des solutions innovantes, des formations, des savoir-faire...

En ce qui concerne l'aspect « retour à la nature » que propose le survivalisme, est-ce que vous pensez que cette crise du Covid19 va entraîner une sorte de nouvel essor des campagnes ?

On a vu récemment pas mal de sujets sur des jeunes notamment qui retournent vivre à la campagne. Un peu à l'image d'Yves Cochet, l'ancien ministre [de l’Écologie]. Cette tendance est peut-être accrue en ce moment à cause du Coronavirus, mais je pense que cette logique existait déjà avant, car de plus en plus de gens se rendent compte que nos sociétés modernes ne sont pas viables et que continuer d'agir comme ça n'est pas possible, en fait.

Est-ce que vous auriez des conseils à donner à quelqu'un qui voudrait retourner vivre à la campagne dans une perspective un peu survivaliste ?

Si j'avais la possibilité de partir à la campagne et d'avoir la chance d'avoir une maison et un peu de terrain, je me lancerais dans la construction de différents éléments pour ma maison, pour protéger ma famille, pour agir de manière beaucoup plus écologique. Par exemple, pour commencer, quelques panneaux solaires, ainsi que des systèmes de récupération des eaux de pluie et de purification. Je ferais aussi une serre semi enterrée pour faire des cultures en aquaponie.

Le but serait de se réapproprier les besoins primaires. L’objectif n'est pas non plus l'autarcie, car il faut aussi se servir de ce que la société peut nous offrir. Mais je pense que si on part vers une consommation plus raisonnée, ce serait vraiment plus bénéfique pour tout le monde.

Cette crise a pour particularité de mettre en exergue certaines limites de notre système économique actuel, comme on a notamment pu le voir avec la pénurie de masques, qui a montré qu'on était très, voire trop, dépendant des industries étrangères, ce qui a poussé beaucoup de gens à improviser des solutions. Est-ce que vous pensez que le survivalisme, qui est quand même marqué par une certaine forme de consumérisme, pourrait se réinventer en faisant davantage la promotion du bricolage ?

Bien sûr, totalement. Mais pour rebondir sur ce que vous dites sur le côté consumériste, il faut dire que le survivalisme ce n'est pas non plus retourner à l'âge de pierre. Si des gens proposent des panneaux solaires monocristallins dernier cri qui vont produire 500 % plus d'électricité, bien sûr il y a une logique consumériste derrière. Après, il y a une différence entre quelqu'un qui va acheter ses panneaux solaires mais ne va pas savoir les installer ou les réparer en cas de problème, et un survivaliste qui va suivre une formation, coupler ses panneaux à une éolienne, etc.

Aux salons, il y avait des ateliers de « do it yourself », notamment pour fabriquer des pales d'éoliennes. Le bricolage fait totalement partie du survivalisme : c'est le savoir-faire avant tout. Vous aurez beau avoir les meilleurs produits, les meilleurs systèmes, si vous ne savez pas vous en servir ou les réparer, ils ne vous serviront absolument à rien.

Vous avez des recommandations de livres, films ou autres en lien avec le survivalisme ?

La série L'Effondrement est très, très bien réalisée, anxiogène comme il faut pour faire passer les messages nécessaires. Si c'était trop light, ça ne choquerait pas assez pour qu'on en parle.


Le prochain Salon du survivalisme de Paris aura lieu du 19 au 21 mars 2021, Porte de la Villette.

Arnaud Salvat